Le juge de l’exequatur doit contrôler le montant d’une condamnation étrangère envers l’ordre public

31, May, 2019 | Particuliers, Professionnel

Le juge de l’exequatur doit contrôler la conformité du montant d’une condamnation étrangère à l’ordre public

 

(Note sous Cass. Civ. 1re, 30 janvier 2019, n° 17-28555)

 

La Cour de cassation semble poursuivre sa jurisprudence laissant une plus grande latitude au juge de l’exequatur pour contrôler la conformité du montant d’une condamnation fixée par un jugement étranger à l’ordre public international.

 

Dans un arrêt du 30 janvier 2019, publié au bulletin et sur lequel la Cour de cassation a donc manifestement voulu attirer l’attention, cette dernière a censuré un arrêt de la Cour d’appel de Chambéry concernant l’exequatur d’un jugement suisse.

 

Les faits de l’affaire étaient les suivants. Un jugement d’un tribunal suisse avait condamné un dirigeant de société à une indemnité pour malversations envers son ancien associé et à lui payer la somme de 36.000 francs suisses (32.000 €) au titre de ses frais d’avocat.

 

Saisie d’un appel sur l’exequatur en France du jugement suisse, La Cour d‘appel de Chambéry décide que la condamnation procède d’une appréciation souveraine, que son montant doit être relativisé compte tenu de l’évolution de la parité entre l’euro et le franc suisse, du niveau plus élevé en Suisse qu’en France des rémunérations et du peu d’éléments pour apprécier l’importance, la complexité et la longueur de l’affaire. La Cour d’appel de Chambéry accorde donc l’exequatur au jugement suisse.

 

La personne condamnée forme un pourvoi en cassation dont le troisième moyen invoque deux textes. D’une part, l’article 34 de la Convention de Lugano, lequel énonce qu’ « une décision n’est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État requis ». D’autre part, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un procès équitable, disposant que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

 

Au visa de ces deux textes, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry. Elle décide en effet que « l’exercice par le juge étranger de son office en équité ne fait pas, par principe, obstacle au contrôle par le juge de l’exequatur de l’éventuelle atteinte à l’ordre public international ».

 

Implicitement dit et même si elle est uniquement juge du droit et non des faits, la Cour de cassation considère qu’au regard du contentieux qui s’est déroulé devant la juridiction suisse, le montant de la condamnation prononcée par cette dernière est contraire à l’ordre public et s’oppose à ce que l’exequatur en France soit conféré à la décision de justice rendue en Suisse.

 

Cet arrêt semble s’insérer dans une nouvelle orientation que donnerait la Cour de cassation sur le contrôle par le juge de l’exequatur du montant des condamnations prononcées à l’étranger.

 

Jusqu’en 2018, à notre connaissance, le seul arrêt de la Cour de cassation qui avait statué en ce sens était la fameuse décision Cass. Civ. 1re, 1er décembre 2010, n° 09-13303, laquelle avait considéré que le montant excessif des dommages-intérêts punitifs prononcés par une juridiction américaine était contraire à l’ordre public, et empêchait ainsi l’exequatur en France du jugement américain.

 

Cette dernière décision semblait être isolée, tant la Cour de cassation n’avait de cesse, avant et après elle, de rejeter l’argument de la contrariété d’une condamnation étrangère à l’ordre public, en rappelant le principe de l’exequatur dans de nombreux arrêts : « s’il appartient au juge de l’exequatur de s’assurer de la conformité de la décision qui lui est soumise à l’ordre public international français, ce contrôle ne peut conduire à réviser au fond une décision ayant acquis autorité de chose jugée dans l’Etat dont elle émane et autorité irrévocable par épuisement des voies de recours dans cet Etat » (Cass. Civ. 1re, 4 juillet 2007, n° 05-14918, 05-16585, 05-17433 ; 14 janvier 2009, n° 07-17194 ; 28 mars 2013, n° 11-19279).

 

Très récemment, la Cour de cassation a décidé que le juge de l’exequatur doit contrôler si le taux d’intérêt retenu dans un jugement étranger est conforme à l’ordre public pour refuser l’exequatur de décisions de justice rendues en Russie : « il lui appartenait, pour exercer pleinement son contrôle au titre de l’exception d’ordre public, de rechercher si, concrètement, le taux appliqué par les décisions russes n’était pas contraire à l’ordre public international » (Cass. Civ. 1re, 17 octobre 2018, n° 17-18995).

 

Les arrêts du 17 octobre 2018 et du 30 janvier 2019 marquent vraisemblablement la volonté de la Cour de cassation d’assouplir le contrôle par le juge de l’exequatur du montant des condamnations prononcées par un jugement étranger.

 

Il faut donc s’attendre à ce que les parties à une procédure d’exequatur invoquent désormais régulièrement cet argument, à charge pour les juridictions du fond de trouver, dossier par dossier, le bon équilibre entre cette nouvelle tendance et le principe qui doit demeurer : celui de l’absence de révision au fond du jugement étranger en raison de sa souveraineté.