La Cour d’appel de Versailles qualifie la Société Nationale des Pétroles du Congo d’émanation de l’Etat du Congo

6, Mar, 2021 | Professionnel

Cour d’appel de Versailles, 14 janvier 2021, RG n° 19/06572

 

Une société est considérée comme étant l’émanation d’un Etat lorsque celle-ci ne dispose pas d’une indépendance fonctionnelle ni d’un patrimoine propre à son égard.

 

Les deux arrêts fondateurs de ce concept ont été rendus par la Cour de cassation en 2007 (Cass. Civ. 1re, 6 février 2007, n° 04-13107, Société Nationale des Pétroles du Congo et 14 novembre 2007, n° 04-15388, publié au bulletin, Société Nationale des Hydrocarbures du Cameroun : voir sur ces deux arrêts : D. Motte-Suraniti, « Emanations d’Etat : la Cour de cassation française ouvre la voie aux saisies », Recueil Penant n° 862, p. 75, dans lequel nous citions le professeur G. Flécheux : « L’inexécution des sentences rendues dans le domaine du commerce international à l’encontre des Etats est un facteur de désordre économique et juridique ; elle ruine la crédibilité de l’arbitrage, dès lors que les Etats sont devenus des agents essentiels de ce commerce international. »)

 

La qualification d’émanation d’Etat permet de pratiquer des voies d’exécution, notamment des saisies bancaires ou immobilières, contre la société recevant cette définition, au titre d’une créance détenue contre cet Etat.

 

Dans un arrêt du 7 décembre 2016, la Cour de cassation avait rejeté la qualification d’émanation d’Etat pour la compagnie aérienne Equatorial Congo Airlines et ainsi invalidé la saisie d’un aéronef lui appartenant (Cass. Civ. 1re, 7 décembre 2016, n° 15-22688).

 

Une synthèse juridique de ce concept peut être tirée d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 juin 2017 :

 

« Selon l’article L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, le créancier ne peut saisir entre les mains d’un tiers que les créances de son débiteur.

 

Il est admis que le droit de poursuite du créancier est étendu en cas de confusion des patrimoines notamment aux organismes publics qui dépendent d’un Etat étranger au point de n’en être qu’une émanation.

 

La qualification d’émanation de l’État, question de fait, doit être appréciée en fonction de l’indépendance fonctionnelle et de l’autonomie de patrimoine de l’entité concernée qui sont les attributs de la personnalité morale. »

(Cour d’appel de de Paris, 27 juin 2017, RG n° 459/17, HULLEY c. ARIANESPACE, ROSCOSMOS et FEDERATION DE RUSSIE)

 

Le créancier doit démontrer que la société contre laquelle il souhaite pratiquer des voies d’exécution est « dépourvue d’autonomie structurelle, organique et décisionnelle par rapport à l’Etat » ainsi que « l’absence de patrimoine distinct » (Cour d’appel de Paris, 10 janvier 2019, RG n° 16/15796, GETMA c. REPUBLIQUE DE GUINEE CONAKRY).

 

Dans un arrêt du 14 janvier 2021, la Cour d’appel de Versailles a utilisé ces critères d’absence d’autonomie structurelle, organique, décisionnelle et patrimoniale permettant le cas échéant de conclure que « l’émanation devient un instrument d’exercice de la souveraineté de l’Etat » (Cour d’appel de Versailles, 14 janvier 2021, RG n° 19/06572).

 

Les faits de l’espèce opposaient la Société Nationale des Pétroles du Congo et la République du Congo à la société COMMISIMPEX, créancière de ce dernier suite à l’exequatur d’une sentence arbitrale.

 

En 2016, la société COMMISIMPEX avait fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains d’un établissement bancaire de toutes sommes dont celui-ci serait le débiteur de la Société Nationale des Pétroles du Congo prise en sa qualité d’émanation de l’Etat du Congo.

 

Tant la République du Congo que la Société Nationale des Pétroles du Congo contestaient la qualité d’émanation d’Etat de cette dernière.

 

La Cour d’appel de Versailles constate dans la motivation de son arrêt que  la Société Nationale des Pétroles du Congo, dont le capital social est toujours détenu à 100% par l’Etat, demeure sous la tutelle directe du ministre des hydrocarbures, lequel  exerce un pouvoir permanent de contrôle de l’application de sa politique et de ses orientations définis par le gouvernement. En pratique, cette société ne dispose d’aucune marge de manœuvre de développement d’activités propres et échappant à un contrôle de l’Etat.

 

Partant de ce constat et, notamment, du fait qu’en ce qui concerne les activités commerciales propres de la Société Nationale des Pétroles du Congo, celle-ci ne bénéficie d’aucune capacité d’autofinancement et que son activité propre ne lui assure aucune autonomie, la Cour d’appel de Versailles juge « qu’en tant qu’instrument au service du pouvoir en place, sans lequel la survie même de l’Etat serait menacée, la SNPC est bien une émanation de la République du Congo », rejoignant en cela l’appréciation faite il y a quatorze années par la Cour de cassation.

 

En conséquence, la Cour d’appel de Versailles valide les saisies-attributions pratiquées par la société COMMISIMPEX contre la Société Nationale des Pétroles du Congo au titre de sa créance sur l’Etat du Congo.